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obtenir une favorable parole de Philiſte : il me ſouvient qu’un jour comme j’eſtois aupres de cette cruelle Fille, & que quelqu’un fut venu demander Steſilée ; je voulus profiter de cette occaſion, & la ſupplier de me dire s’il eſtoit poſſible qu’elle peuſt ſe ſouvenir de toutes les peines qu’elle m’avoit fait ſouffrir à Jaliſſe, ſans en avoir quelque leger ſentiment de repentir ? & je me mis alors à repaſſer la naiſſance de ma paſſion ; & cent mil le petites choſes qui avoient fait une ſi forte impreſſion dans mon cœur, que je les ſentois comme ſi elles fuſſent venuës d’arriver. Mais Philiſte ſans preſques m’eſcouter, me reſpondoit hors de propos : & d’une façon aſſez deſobligeante, pour faire perdre patience à tout autre qu’à moy. Comme je voulus m’en pleindre aveque reſpect, en verité Philocles (me dit elle, avec un ſous-rire malicieux) vous me devez pardonner : car je ne me ſouviens point de ce que vous me dittes. Je sçay bien, adjouſta t’elle, que j’ay eu l’honneur de vous voir à Jaliſſe : mais de s’imaginer que je me ſouvienne icy ny de ce que vous m’y diſtes ; ny de ce qui s’y paſſa quand vous y eſtiez, ce ſeroit s’abuſer : car je charge ma memoire de fort peu de choſes : & le paſſé à l’advenir ſont deux temps où mon eſprit ne s’occupe guere à penſer. Quoy, luy dis-je, injuſte Perſonne, il ne vous ſouvient point que je vous ay dit auſſi ſouvent que je l’ay pû, que je vous aimois paſſionnément ? Vous en devez eſtre bien aiſe, reprit elle, car quand je m’en ſouviendrois, vous n’en ſeriez pas mieux aveque moy. Et venant alors à luy repaſſer les endroits où je l’avois entretenuë de ma paſſion ; tantoſt dans un Jardin ; une autrefois chez la Princeſſe des Lindes ; & diverſes fois chez elle :