melancolie ſi profonde ſur le viſage, que je n’oſay jamais luy en demander la cauſe. Joint auſſi que comme je ne cherchay pas à luy parler en particulier, elle de meſme l’evita de ſon coſté. Cependant il n’eſt rien que je ne fiſſe pour divertir Philiſte : car elle n’oſoit pas refuſer ouvertement mes civilitez, parce que ſon Pere m’ayant quelque obligation, l’auroit trouvé fort mauvais. Je luy fis donc voir tout ce qu’il y a de beau à Corinthe : & le pauvre Arion chanta ſi ſouvent aupres d’elle pour l’amour de moy ; que je ſuis eſtonné qu’une Voix & qu’une Lire qui ont trouvé de la compaſſion parmi les Dauphins & parmi les flots, ne purent m’adoucir la fierté de ſon ame inſensible. Cependant elle demeura inébranlable ; Steſilée de ſon coſté, quoy que reſoluë de ne me donner jamais nulle marque d’affection particuliere, ne laiſſoit pas d’eſtre determinée à entretenir l’averſion de Philiſte pour moy : & en effet cette injuſte Perſonne depuis leur alliance, luy avoit perſuadé que j’avois effectivement eſté amoureux d’elle. De ſorte que Philiſte qui eſtoit glorieuſe, me mal-traittoit encore un peu plus à Corinthe, qu’elle n’avoit fait à Jaliſſe. Je ne pouvois donc jamais aller chez Philiſte, que je ne trouvaſſe que Steſilée eſtoit dans ſa chambre : ou que Philiſte ne fuſt dans celle de Steſilée, ce qui me donnoit bien du chagrin. Car je ne penſe pas qu’il y ait rien de plus incommode, que de voir touſjours enſemble une perſonne que l’on aimé, & de qui l’on n’eſt point aimé ; & une autre de qui l’on n’eſt aimé, & que l’on ne peut aimer : & de laquelle encore la perſonne que l’on aime croit que l’on eſt amoureux. Cependant j’eſprouvay ce ſuplice tres long temps, ſans trouver conſolation en nulle part, & ſans pouvoir
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