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que l’on rend aux Dieux : je l’entretins de ma paſſion en vers & en proſe : mes larmes luy parlerent auſſi fort ſouvent pour moy : la violence de mon amour me mit quelques fois malgré que j’en euſſe, quelques marques de fureur dans les yeux, & de deſespoir dans mes diſcours, Elle me vit inquiet ; jaloux ; le viſage changé ; & pour tout dire en peu de paroles, le plus malheureux homme du monde, ſans que je puſſe vaincre dans ſon cœur cette puiſſante averſion qu’elle avoit pour moy. Je me ſouviens meſme qu’une de ſes plus particulieres Amies, qui fut depuis aſſez des miennes, luy demanda un jour s’il eſtoit poſſible qu’elle ne m’eſtimast point, puis que j’avois le bonheur d’avoir quelque part en l’eſtime de tout le monde ? Elle luy avoüa lors, qu’elle connoiſſoit bien que je ne meritois pas le mauvais traittement qu’elle me faiſoit : mais qu’apres tout, elle ne pouvoit faire autrement. Que comme il y avoit des gens qui devenoient amoureux, ſans sçavoir preſques par quelle raiſon ils l’eſtoient ; il ne faloit pas trouver eſtrange, s’il y en avoit auſſi quelqueſfois, qui haïſſoient ſans ſujet. Mais, luy diſoit cette Perſonne, ceux qui aiment comme vous dittes, combattent pour l’ordinaire leur paſſion : il eſt vray, repliqua t’elle ; mais c’eſt parce qu’elle pouvoit les obliger à faire des choſes honteuſes. Et n’en faites vous pas d’injuſtes ? reprit ſon Amie ; nullement, reſpondit Philiſte, car je ne ſuis pas obligée d’aimer tous les honneſtes gens qui ſont au monde : & je m’eſtime tres heureuſe, d’avoir un ſi puiſſant ſecours à oppoſer à un ennemy ſi redoutable. Mais, luy dit encore cette charitable Confidente, que ne vous deffendez vous avec les meſmes armes contre Antigene que contre Philocles, ſi vous ne combatez que pour voſtre