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que s’il euſt eu quelque diſposition à ſouffrir mon amour, il ſe ſeroit reſolu à la mort, pluſtost que de faire obſtacle à ma felicité. Mais qu’ayant veû ſon eſprit ſi eſloigné de tout ce qui me pouvoit eſtre avantageux ; il n’avoit pas creû me faire un outrage, de ne ceſſer pas d’aimer une perſonne que je ne pouvois avoir aimée pluſtost que luy, puis que nous l’avions veüe enſemble la premiere fois : & que le premier moment de ſa veuë, avoit eſté le premier de ſa paſſion. Enfin il me parla avec toute la generoſité qu’un Amant qui ne veut point quitter ſa Maiſtresse peut avoir : & je luy reſpondis auſſi, avec toute la retenuë dont un honme deſesperé, & qui a quelque vertu peut eſtre capable, en parlant à un Rival plus heureux que luy, & pour lequel il avoit eu beaucoup d’amitié. Je luy avoüay donc ingenûment, que je n’avois pas un ſujet legitime de me pleindre de luy : Mais je luy dis en fuite, qu’encore que cela fuſt de cette ſorte, il ne m’eſtoit pas poſſible de n’eſtre pas infiniment faſché de ſon bonheur. Que c’eſtoit une raillerie, de penſer que deux Rivaux puſſent jamais eſtre veritables Amis : & que tout ce que la generoſité & la prudence pouvoient faire en ces rencontres, eſtoit de les empeſcher d’eſtre mortels ennemis. Qu’au reſte, comme j’eſtois aſſez equitable pour ne luy demander pas qu’il abandonnait ſon deſſein : je le ſupliois auſſi, de ne trouver pas mauvais que je continuaſſe le mien. Qu’il pouvoit m’accorder d’autant pluſtost cette liberté, qu’il y avoit peu d’apparence que cela me ſervist à rien : Enfin apres une aſſez longue converſation, nous demeuraſmes d’accord de ne nous plus parler de Philiſte : de faire de part & d’autre