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prie, le caprice de ma fortune : comme Philiſte eſtoit une perſonne fort glorieuſe & un peu bizarre, elle eut un ſi ſensible deſpit de s’eſtre trompée qu’elle en eut effectivement de l’averſion pour moy : & ſe reſolut tellement de faire valoir les bonnes qualitez d’Antigene, que quand il euſt eſté de ſes plus anciens Amis, elle ne ſe fuſt pas plus intereſſée à ſa gloire qu’elle faiſoit : Joint auſſi qu’à mon advis, ſon inclination pancha de ce coſté là. Ce qui cauſoit ſon plus grand deſpit, eſtoit que lors qu’elle avoit nommé Antigene, elle avoit d’eu effectivement avoir connu par fineſſe qu’il eſtoit Philocles : & c’eſt pourquoy elle s’eſtoit haſardée à prononcer ſi hardiment. Car comme elle avoit entendu dire que je ne chantois pas mal, elle avoit pris ſoin d’obſcurcir le ſon de ſa voix & celuy de la mienne en parlant : & ayant trouvé plus de douceur en celle d’Antigene, elle avoit creû qu’il eſtoit Philocles : car pour les choſes que nous avions dittes l’un & l’autre, il y avoit aſſez d’égalité. Cependant je remis cette belle Perſonne pluſieurs fois : & comme toute la Cour sçeut cette petite avanture, tout le monde luy en faiſoit la guerre : ce qui augmenta tellement ſa bizarre reſolution, qu’elle ne pouvoit plus ſouffrir qu’on luy diſt du bien de moy. Ce n’eſt pas qu’elle ne fiſt ſemblant qu’elle n’agiſſoit ainſi que par galanterie : mais en effet je ſuis perſuadé qu’elle eut de l’averſion pour ma perſonne, & de l’inclination pour Antigene, dés le premier moment qu’elle nous vit. Nous voila donc tous deux bien occupez : luy, à faire voir qu’il reſſembloit mieux que moy, au Philocles de la Lettre de la Princeſſe de Corinthe : & moy auſſi à montrer que je n’eſtois pas tout à fait indigne de ſes loüanges. Or il eſt certain, que ſoit à la conſideration de la Princeſſe