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plus à aprendre ce qui me pouvoit divertir, que ce qui me pouvoit inſtruire. Le fameux Arion, de qui l’admirable voix, ſoutenuë par les accords raviſſans de ſa merveilleuſe Lire l’a rendu celebre par tout le monde, fut mon, Maiſtre & mon Amy tout enſemble : & j’eus une ſi forte paſſion pour la Muſique, qu’au lieu d’eſtre mon divertiſſement, elle devint preſques mon occupation. En effet mon Gouverneur me reprit quelqueſfois d’une choſe tres loüable de foy ; parce que par l’attachement extraordinaire que l’y avois, je la pouvois rendre blaſmable. Je commençay donc de partager un peu mon cœur : & le celebre Theſpis eſtant venu à Corinthe, je fus charmé de ſa Poëſie, & de ſes belles Comedies. De ſorte que comme j’avois un peu apris à chanter avec Arion ; je devins Poëte avec Theſpis : y ayant, ſans doute, je ne sçay quelle facilité dans mon naturel, qui faut que je me change aiſément en ce que l’aime. La Peinture ayant en ſuitte touché mon inclination, j’apris auſſi à deſſigner : & ſans eſtre excellent en pas une de ces choſes, je puis dire que j’en sçavois un peu de toutes. Ce fut donc de cette ſorte que je me divertis, juſques à ce qu’il pleuſt à l’Amour de troubler mes plaiſirs, par les meſmes choſes qui les avoient faits durant ſi long temps : & voicy comme ce malheur m’arriva. Cleobule, un de ces fameux Sages de Grece, & Prince des Lindes, avoit envoyé vers Periandre, pour une affaire aſſez importante : Mais ſon Agent eſtant mort à Corinthe, je fus choiſi pour aller vers Cleobule (car j’avois deſja plus de vingt ans) & comme ce Prince a une fille nommée Eumetis, que le Peuple apelle quelqueſfois Cleobuline à cauſe de ſon Pere, quoy que ce Nom ne ſoit pas le ſien, & que ce ſoit celuy de l’illuſtre