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Enfin je partis deux jours apres cette entre-veuë, avec Leontidas que vous voyez icy preſent : que le Roy de Chipre avoit envoyé à Delphes, & qui s’en retournoit en ce temps là. Comme toute Terre m’eſtoit égale où n’eſtoit pas Teleſile, je ſuivis Leontidas, qui avoit fait amitié avec Meleſandre : & je me reſolus d’aller errer par toutes les Iſles de la Mer Egée, comme j’ay fait touſjours depuis, juſques à ce que le Roy de Chipre & le Prince Philoxipe m’ayent fait l’honneur de me donner le commandement de leurs Troupes avec Philocles. Vous jugez donc bien que cette derniere abſence, a pour moy tout ce que l’abſence peut avoir de rigoureux ; car elle doit eſtre encore longue, Menecrate, comme je l’ay sçeu, & cent autres qui ſont venus depuis que je ſuis parti de Delphes, ſont toujours aupres de Teleſile : Diophante la preſſe continuellement de ſe reſoudre, & de choiſir un Mary : Menecrate eſt un fort honneſte homme : mes ennemis ſont touſjours plus animez contre moy : & tous mes Rivaux ſollicitent ſecretement, de peur que l’on n’accourciſſe mon exil, en revoquant mon Arreſt : car il s’eſt eſpandu quelque bruit, que je ſuis la cauſe de la reſistance de Teleſile ; & je ne voy enfin rien qui m’aſſure. Bien que Teleſile juſques icy ne ſoit pas mariée, que sçay-je ce qui doit arriver ; elle ne m’a donné que de l’eſperance : & par conſequent elle m’a donné ſujet de craindre, que ſoit par vertu ou par foibleſſe, elle ne me rende malheureux : ou en obeïſſant à ſon Pere, ou en ſe laiſſant gagner à Menecrate. Voila, ô mon equitable Juge, par quelle experience j’ay connu toute la rigueur qu’il y a d’eſtre eſloigné de ce que l’on aime : & il ne me ſera pas difficile de faire voir par raiſon, auſſi bien que