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ou par quelque cauſe qui me deuſt faſcher ; je puis dire n’avoir jamais eu l’ame ſensible, ny à la douleur, ny à la joye, que ces divers ſujets me devoient donner : & n’avoir jamais ſenti en ces faſcheuses ſeparations, nul autre mouvement dan mon cœur, que celuy que mon amour y cauſoit.

Apres donc cent mille douleurs, & une abſence d’un mois je revins à Delphes : ou j’apris qu’Atalie Sœur d’Androclide, & Femme de Crantor, eſtoit morte en accouchant d’un fils, & que ce fils eſtoit mort luy meſme, peu de jours apres ſa Mere : de ſorte que Teleſile ſe retrouva avec plus d’apparence que jamais, de devoir eſtre une des plus riches Perſonnes de toute la Grece : car on sçavoit que Crantor s’eſtoit repenti de s’eſtre marié, & n’avoit pas eſté ſatisfait d’Atalie : ſi bien que mon Pere n’ayant plus à me reprocher le peu de bien de Teleſile, il y avoit lieu de croire que je ſerois bien toſt heureux. Pour moy je ne ſoubçonnay jamais cette admirable Fille de changer de ſentimens en changeant de fortune : mais j’eus un peu de peur que Diophante ne ſe ſervist pour me nuire, du pretexte que Mon Pere luy avoit donné. De ſorte que pour haſter la choſe, apres avoir veû Teleſile, je fus en diligence à une Terre que mon Pere avoit à deux journées de Delphes, & où il eſtoit alors ; pour le ſuplier tres humblement de ſe ſouvenir, qu’il avoit autrefois aprouvé ma paſſion pour Teleſile : mais par malheur je ne l’y trouvay plus : & il falut que j’attendiſſe huit jours auparavant qu’il revinſt : car les gens qu’il avoit laiſſez chez luy, sçavoient ſeulement qu’il y reviendroit, & ne sçavoient pas où il eſtoit allé. A ſon retour, je luy dis ce que j’avois reſolu de luy dire, & il me reſpondit