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c’eſt qu’Androclide n’aimoit Teleſile, qu’à cauſe des richeſſes d’autruy ; & que je ne l’adore qu’à cauſe de ſes propres richeſſes. Non divine Perſonne, luy dis-je, ce ne ſont que vos yeux ; ce n’eſt que voſtre eſprit que ; regarde ; & ce n’eſt enfin que pour voſtre ſeul merite que je vous aime ; que je vous ſers ; & que je vous ſerviray toute ma vie. La beauté Thimocrate, me dit elle, quand il ſeroit vray que j’en aurois, eſt un bien que l’on peut perdre toſt, encore plus facilement que tous les autres biens : il a meſme cela de faſcheux, que l’on eſt aſſuré de le perdre infailliblement. Ainſi quand je croirois que voſtre ame ne ſeroit pas ſensible à cette baſſe & honteuſe paſſion, qui s’oppoſe à toutes les grandes actions, & qui fait preferer les richeſſes à la gloire & à la vertu ; je ne m’aſſurerois pas encore en voſtre affection : & je ſuis perſuadée que vous feriez un jour par foibleſſe & : par inconſtance, ce qu’Androclide a fait par avarice. Non divine Teleſile, luy reſpondis-je, vous ne me connoiſſez pas : j’avoüe, adjouſtay-je, parce que je ſuis ſincere, que la perte de voſtre beauté me cauſeroit une douleur inconcevable : mais elle me la cauſeroit principalement pour l’amour de vous : & non pas comme eſtant abſolument neceſſaire à entretenir la paſſion qu’elle a fait naiſtre dans mon cœur. Voſtre eſprit, charmante Perſonne, a des lumieres qui brilleroient encore, quand celles de vos yeux ſeroient eſteintes ? & voſtre ame a des beautez qui raviroient touſjours la mienne, quand meſme vous ne ſeriez plus belle. Mais, pourſuivis-je, Teleſile la ſera touſjours : & elle a encore ſi peu veû de Printemps, que le ſien n’eſt pas preſt de finir. C’eſt par ce peu d’experience, repliqua t’elle en ſous-riant, que je me dois défier de tout : & c’eſt pourquoi