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party, tous mes Rivaux s’eſtoient reſjoüis de mon abſence, quoy que la cauſe les en affligeaſt ; parce qu’en effet je leur eſtois le plus redoutable : mais qu’entre les autres, Androclide en avoit eu beaucoup de ſatisfaction. Neantmoins, me diſoit Meleſandre, comme il avoit l’eſprit partagé, entre les richeſſes pretendües de Teleſile & ſa beauté ; il avoit touſjours prié ſa Sœur de ſe contenter de détruire autant qu’elle pourroit tous ſes Rivaux, dans l’eſprit de Teleſile, & de l’y mettre bien : & ſans luy en dire la veritable cauſe, il ne l’avoit jamais priée de pouſſer la choſe auſſi loing qu’elle pouvoit aller. Mais en effet c’eſtoit qu’encore qu’il fuſt amoureux de Teleſile, il ne l’aimoit pourtant pas aſſez pour la vouloir eſpouser : juſques à tant que Crantor luy euſt aſſuré tout ſon bien comme il l’eſperoit par les ſoings de ſa Sœur, qui le voyoit toujours tres ſouvent. Mais afin de vous faire mieux entendre, ô mon equitable Juge, tout ce que Meleſandre me dit : il faut que vous sçachiez qu’Atalie qui n’aimoit pas moins la richeſſe que ſon Frere, fit ſemblant de croire qu’Androclide ne la prioit d’agir aupres de Crantor, que par la ſeule paſſion qu’il avoit pour Teleſile : Si qu’eſtant auſſi paſſionné qu’il l’eſtoit, il l’épouſeroit auſſi bien pauvre que riche. De ſorte qu’ayant remarqué que Crantor ſe laiſſoit inſensiblement toucher à ſa beauté (car certainement cette fille en avoit beaucoup) elle n’oublia rien de tout ce qui pouvoit toucher le cœur d’un avare. Elle ne parloit avec luy que d’oeconomie : elle blaſmoit les deſpences ſuperfluës : & paroiſſoit ſi détachée de tous les plaiſirs, & de tous les divertiſſemens des perſonnes de ſon âge ; que Crantor penſa enfin ce qu’elle vouloit qu’il penſast, & luy propoſa de l’eſpouser.