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point à vous démeſler cette grande affaire ; qui ſeroit auſſi longue à vous dire, qu’elle eſt inutile à mon amour, qui eſt la ſeule choſe dont j’ay à vous parler. Mais je vous diray ſeulement, que quelque ſoin que j’y apportaſſe, il falut que je fuſſe deux mois entiers dans Milet, ſans pouvoir avoir nulles nouvelles de Delphes ; parce que le vent fut touſjours contraire pour cette navigation. J’avois creû dans les premiers jours, que ma douleur pourroit diminuer par l’habitude : mais mon ame ne ſe trouva pas diſposée à cela ; au contraire, plus j’allois en avant, plus mon chagrin augmentoit : & ceux à qui la longueur de l’abſence en diminuë la rigueur, n’ont aſſurément qu’une mediocre paſſion. Toutes les fois que le ſage Thales, avec lequel j’agiſſois contre la faction oppoſée, m’aprenoit qu’il y avoit quelque obſtacle nouveau, à la concluſion de mon affaire ; j’en paroiſſois ſi touché, que ce ſage homme qui ne penetroit pas dans mon cœur, croyoit que j’eſtois le plus ambitieux de gloire qui fuſt au monde, & le meilleur Agent que l’on euſt jamais pû choiſir. Mais enfin quand il plût à la Fortune, j’eus achevé mes affaires heureuſement ; & je ſortis de Milet, pour m’en retourner à Delphes : apres avoir, s’il m’eſt permis de le dire, acquis aſſez d’honneur dans une negociation ſi importante. Le ſage Thales me fit meſme la grace d’écrire de moy aux Amphictions d’une maniere tres avantageuſe : & je pouvois ſans doute avoir un ſujet raiſonnable de me reſjoüir : mais mon ame eſtoit deſja ſi accouſtumée au chagrin, qu’elle ne pût pas gouſter une joye toute pure : car parmi l’eſperance de revoir Teleſile, la crainte de trouver quelque changement en ſa fortune qui me fuſt deſavantageux, me troubla ſans doute