Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il y a cette difference entre vous deux, luy reſpondit Teleſile, que vous en joüiſſez par ma volonté ; & que Thimocrate n’en joüit que par celle de mon Pere. Si cela eſt, reprit Atalie, je ceſſe de me pleindre. Je n’en fais pas de meſme, luy repliquay-je tout chagrin ; & je ne fais au contraire que commencer de dire la peine que je ſens en ſortant de Delphes. Vous y laiſſez donc quelque choſe, reprit Atalie, que vous preferez à la gloire : Que je prefere à tout, luy repliquay-je. Il eſt bien difficile que vous ayez raiſon de le faire (reſpondit Teleſile, qui n’oſoit preſques plus me regarder) puis qu’il n’eſt rien qui doive eſtre ſi cher. Comme nous en eſtions là, deux de ſes Parentes vinrent encore, & je fus obligé de m’en aller : Mais lors que Teleſile, qui n’oſoit pas me faire une incivilité devant ces Dames, me vint conduire juſques à la porte de ſa chambre : Madame, luy dis-je aſſez bas, ſi je ne meurs point de douleur pendant mon voyage, vous me verrez revenir avec la meſme paſſion pour vous, que j’emporte dans mon cœur. Je prie les Dieux Thimocrate, me dit elle en rougiſſant, que voſtre voyage ſoit heureux : & (pourſuivit elle en abaiſſant la voix, auſſi bien que moy) je ſouhaite encore, que vous reveniez plus ſage que vous ne le paroiſſez eſtre en partant ; afin que Teleſile vous puiſſe donner toute ſa vie des marques de l’eſtime qu’elle fait de voſtre merite. Elle me die cela d’un air modeſte, qui ſans eſtre ny ſerieux ny enjoüé, ne me laiſſoit pas lieu de bien raiſonner ſur ſes ſentimens : joint que dans cét inſtant de ſeparation, je ſentis un trouble ſi grand dans mon cœur, que de pluſieurs je ne fus en eſtat de penſer à rien.

Mais en fin je partis le lendemain, avec un deſespoir que je ne sçaurois exprimer :