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facent ſemblant une fois en leur vie, de ne me haïr pas. Mais sçachez je vous ſuplie que je n’ay jamais rien contribué à cela : que je me connois trop bien, pour croire de ſemblables choſes facilement : & qu’en voſtre particulier je vous eſtime aſſez, pour aporter tous mes ſoins à ne vous croire pas. Car Thimocrate, ſi je vous croyois, je ſerois obligée d’éviter voſtre converſation qui m’eſt agreable : c’eſt pourquoy ne prenez pas, s’il vous plaiſt, la peine de continuer une feinte qui vous ſeroit nuiſible, ſi ma veuë vous donne quelque ſatisfaction. Je ne continuëray pas une feinte, luy dis-je, mais je continuëray de vous dire une verité ; en vous aſſurant que j’ay plus d’amour dans l’ame, que tout le reſte de vos Amants enſemble n’en ont. Comme mon Pere, reprit Teleſile en raillant touſjours, ne vous a pas donné la permiſſion de me voir, pour me dire une pareille choſe ; je penſe que je puis ſans incivilité, vous prier de changer de diſcours, ou de vous haſter de me dire adieu. C’eſt une trop cruelle parole, luy repliquay-je en ſoupirant, pour me haſter de vous la dire : & ce ſera ſans doute le plus tard que je pourray, que vous me l’entendrez prononcer : ſi toutes fois il eſt poſſible que je le puiſſe faire ſans mourir. Comme elle m’alloit reſpondre, & qu’elle prenoit un viſage plus ſerieux, qui me faiſoit deſja trembler de crainte : Atalie Sœur d’Androclide le plus redoutable de mes Rivaux entra. Ma Sœur, luy dit elle (car elles ſe nommoient ainſi) je penſois eſtre preſques ſeule à qui vous accordaſſiez le privilege de vous voir pendant voſtre mal ; & cependant je m’aperçoy que Thimocrate en joüit auſſi bien que moy, ne craignez vous point que j’en ſois jalouſe ?