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parte pour aller à Milet. Comme je ne l’avois point veuë depuis que j’avois eſté choiſi pour cela, elle me teſmoigna avoir beaucoup de joye de l’honneur que l’on me faiſoit ; & m’ayant fait donner un ſiege, elle m’exagera avec beaucoup de civilité, la part qu’elle prenoit à une choſe qui m’eſtoit glorieuſe. Si l’adorable Teleſile m’euſt fait voir autant de marques de joye dans ſes yeux, pour un bonheur qui me fuſt arrivé ſans m’eſloigner d’elle, j’en aurois reçeu un plaiſir extréme, & je me ſerois eſtimé tres heureux : mais ma capricieuſe paſſion m’ayant fait trouver quelque choſe de cruel, à voir qu’elle ſe reſjoüiſſoit de ce qui m’alloit priver de ſa preſence : je reſpondis à ſon compliment en ſoupirant. Madame, luy dis-je, vous eſtes bien bonne, de prendre part à une choſe qui m’eſt en quelque façon avantageuſe : Mais je ne sçay ſi vous en prendriez autant en mes malheur, que vous teſmoignez en prendre en mon bonheur. Vous me croyez bien peu genereuſe, me repliqua t’elle en ſouriant, de penſer que je ne m’intereſſe pour mes amis que dans leur bonne fortune : en verité Thimocrate, adjouſta t’elle encore en raillant agreablement, vous recevez ſi mal la part que je prens à voſtre joye, que je penſe que s’il vous arrivoit quelque deſplaisir, je pourrois ſans injuſtice ne m’en affliger point du tout : & je ſuis preſque en chagrin, de ce que je ne voy pas qu’il y ait apparence que de long temps je me puiſſe vanger de vous cette ſorte. Car vous allez en un lieu, où l’on vous recevra avec applaudiſſement : & vous reviendrez apres icy chargé de gloire, pour vous eſtre ſans doute aquité dignement de l’employ que l’on vous a donné. Mais puis que je ne pourray me vanger de vous, en ne prenant point de part à vos malheurs,