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la grandeur de ſa paſſion, vous qui ne la ſoupçonniez pas il n’y a qu’un jour ? C’eſt Madame, répondit-elle, que je n’y avois aporté aucune aplication d’eſprit : mais preſentement que je me ſouviens de cent choſes qu’il m’a dites, & de cent autres que je luy ay veu faire ? je connois bien que j’eſtois aveugle de n’en connoiſtre pas la cauſe. Je me ſouviens qu’un ſoir que nous avions obligé Eſope mes compagnes Se moy, à nous raconter ſon amour pour cette belle eſclave qui ſe nomme Rhodope, & qui ſervoit chez le Philoſophe Xanthus, du temps qu’il y demeuroit auſſi : Cleandre qui eſtoit preſent à cét agreable recit ; apres qu’il fut achevé, & que tout le monde le loüoit : pour moy, luy dit-il, je vous crois ſi heureux d’avoir porté meſmes chaiſnes que la belle Rhodope, que je trouve lieu de vous en porter envie. Car enfin, pourſuivit il, c’eſt aſſurément un grand malheur à ceux qui aiment, quand il faut qu’ils baiſſent ou qu’ils levent les yeux pour regarder ceux qu’ils adorent : & c’eſt ſans doute une aſſez grande douceur, de les rencontrer juſtement dans les ſiens avec égalité : & d’eſtre en eſtat de faire valoir les ſoûmiſſions que l’on rend à la perſonne que l’on aime. J’avoüe que j’écoutay alors ce diſcours, ſans y faire aucune reflexion : mais je connois bien preſentement que je m’abuſois, de n’y chercher point de ſens caché. le me ſouviens encor du jour où la Princeſſe de Claſomene arriva à Sardis : d’un jour, dis-je, où vous eſtiez extraordinairement parée, & auquel toute la Cour vous trouva ſi admirablement bien : car Cleandre venant à s’entretenir avec mes compagnes & avecques moy qui parlions de voſtre beauté, nous nous meſmes à luy dire