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comme elle avoit toujours eſté fort aimée de la Princeſſe ; Madame, luy dit-elle, je penſe que j’ay fait une faute, de venir vous entretenir de folies & de bagatelles, dans un temps où vous avez peut-eſtre quelque choſe de plus grande importance dans l’eſprit : mais l’honneur que vous m’avez fait à diverſes fois, de me confier vos plus ſecrettes penſées, m’avoit fait croire que vous n’aviez point de chagrin extraordinaire, puis que je ne le sçavois pas. La Princeſſe qui eſtoit ſi accablée d’inquietude, qu’elle ne pouvoit plus en effet la renfermer dans ſon cœur : ſe reſolut d’avoir une confiance entiere en Cyleniſe : de ſorte qu’elle luy aprit ce qu’elle croyoit de la paſſion de Cleandre. Cependant, dit-elle, comme je l’eſtime beaucoup, & que je croyois qu’il y alloit de ma gloire qu’il ne creuſt pas que je connoiſſois ſa folie ; j’avois reſolu de vivre avecques luy comme à l’ordinaire, & j’avois deſja commencé : mais Cyleniſe, apres ce que vous venez de me dire, il n’y a plus moyen d’y ſonger. Car enfin, puis que les Eſtrangers & les Müets s’en aperçoivent, beaucoup d’autres s’en apercevroient bien toſt : c’eſt pourquoy il faut commencer de bonne heure d’agir de façon, que l’on ne puiſſe pas me ſoupçonner d’avoir rien contribué à l’extravagance de Cleandre, ſi elle vient à eſtre sçeuë. Madame (luy dit Cyleniſe, apres y avoir un peu penſé) je m’eſtonne moins que je ne faiſois, de ce que le Prince Myrſile & Eſope voyent plus clair que les autres gens : car outre qu’ils ont tous deux plus d’eſprit que tous les autres n’en ont, ils ont encore plus de loiſir d’obſerver les actions d’autruy : l’un comme un Eſtranger qui n’a rien à faire au lieu où il eſt : & l’autre comme n’ayant qu’à écouter &