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dire s’il aimoit, & qui il aimoit : elle s’accuſoit encore de ſimplicité, de n’avoir pas compris la cauſe du ſecret que faiſoit Cleandre de ſa paſſion. Neantmoins il y avoit des momens, où la grande diſproportion qu’il y avoit de luy à elle, faiſoit qu’elle en vouloit douter. Car (diſoit-elle en elle meſme, à ce qu’elle raconta apres à Cyleniſe ma Parente, qui. me l’a redit depuis) ſi je le croy amoureux de moy, il faut que je m’en offence : & il faudra que je me prive de ſa veuë & de ſa converſation, qui me plaiſent infiniment. Ne le croyons donc pas, adjouſtoit elle : mais un inſtant apres cent mille choſes luy revenant en la memoire, elle ne pouvoit pas ne le croire point : & elle ſe reſoluoit d’aprendre de telle ſorte à Cleandre le reſpect qu’il luy devoit, qu’il ne le pourroit plus jamais oublier. Touteſfois venant à penſer qu’apres tout, Cleandre ne luy avoit rien dit qui deuſt effectivement fort l’irriter, elle creût que meſme par un ſentiment de gloire, il ne faloit pas luy faire connoiſtre qu’elle ſoupçonnaſt rien de ſa paſſion : ſi bien qu’elle prit le deſſein de vivre avecques luy comme auparavant : & la choſe fut ainſi pendant quelques jours ; durant leſquels elle avoit aſſez de douceur pour Arteſilas, ſuivant ce qu’elle avoit reſolu.

Mais afin qu’elle ne peuſt plus douter de l’amour de Cleandre, Cyleniſe la fut trouver un ſoir dans ſon Cabinet, où elle s’eſtoit retirée pour mieux cacher la melancolie qu’elle avoit dans l’ame : & comme elle vit autant d’enjouement dans les yeux de cette Fille, qu’elle avoit de diſposition au chagrin : qu’avez vous Cyleniſe, luy dit-elle, qui vous donne tant de joye ? Madame, luy dit cette Fille, c’eſt qu’il m’eſt arrivé une ſi bizarre avanture aujourd’huy, que ſi je ne craignois de vous faſcher, je