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dit malgré moy, je dois remercier les Dieux, de ce que vous ne m’avez pas entendu. La Princeſſe rougit à ce diſcours : & par le trouble qui parut dans ſes yeux, elle luy fit connoiſtre qu’elle commençoit de l’entendre. Mais comme il craignit qu’elle ne le mal-traitaſt s’il luy donnoit loiſir de faire reflexion ſur ſes paroles : enfin Madame, luy dit-il encore, que vous plaiſt-il que je face pour voſtre ſatisfaction ? que vous ne me diſiez plus rien que je n’entende, & que je ne doive entendre, repliqua-t’elle : & que cependant vous demeuriez ſimplement dans les termes que je vous ay preſcrits, de me rendre office aupres du Prince mon Frere, quand l’occaſion s’en preſentera. Je le feray, Madame, répondit-il en la ſalüant avec un profond reſpect ; & alors il luy fit voir ſur ſon viſage des ſignes ſi certains de la paſſion qu’il avoit dans l’ame ; qu’à moins que de n’avoir point d’yeux, il n’eſtoit pas poſſible qu’elle ne s’en aperçeuſt. Auſſi la vit-elle ſi clairement en cét inſtant, qu’elle ne pouvoit aſſez s’étonner de ne s’en eſtre pas aperçeuë pluſtost : car lors qu’elle ſe ſouvenoit de toutes les actions de Cleandre, elle s’accuſoit de ſtupidité, de n’avoir pas ſoupçonné qu’il n’avoit refuſé au Prince Atys de feindre d’aimer Anaxilée, que parce qu’il l’aimoit elle meſme. En ſuitte quand elle repaſſoit en ſa memoire, avec quelle joye il avoit accepté la commiſſion de nuire à Adraſte : & avec quelle douleur il avoit entendu qu’elle vouloit mieux traiter Arteſilas qu’elle n’avoit accouſtumé ; elle eſtoit ſi fortement perſuadée de la verité, que Cleandre n’euſt gueres pû ſouhaiter qu’elle l’euſt eſté davantage. Apres, quand elle rapelloit en ſon ſouvenir, combien elle l’avoit preſſé inutilement de luy vouloir