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perdre Mandane, & à eſtre vaincu, par ceux dont j’ay eſté vainqueur, il faut que ce ſoit d’une maniere, qui faſſe connoiſtre a toute la Terre, que je n’ay pas merité mon infortune. Mais (adjouſta-t’il, apres avoir eſté quelque temps ſans parler) quand il ſeroit vray que je ſerois haï du Ciel, qu’à fait Ciaxare, luy qui tient l’Empire ? luy dis-je, qui jouit du fruit de mes victoires. Luy auray-je fait un preſent empoiſonné, en luy donnant toutes mes conqueſtes ? & faudra-t’il qu’il periſſe, parce que les Dieux me voudront perdre ? Du moins ſeroit-il juſte de ne confondre pas les choſes : cependant en promettant à Creſus qu’il deſtruira un grand Empire, c’eſt vouloir dire aſſurément, que celuy de Ciaxare ſera deſtruit : il faudra pourtant, s’eſcria-t’il, que je meure bien-toſt, ou que la victoire couſte un peu cher à mes Rivaux & à mes ennemis. Juſques icy j’ay combatu en meſnageant quelqueſfois ma vie, parce qu’il m’eſtoit permis d’eſperer de la voie un jour heureuſe : mais puis que je ne dois plus rien attendre que de l’infortune, il faut que j’agiſſe d’une autre ſorte : & que je ne ſonge qu’à perdre le plus de mes ennemis que je pourray, en me perdant moy meſme : afin qu’il y ait moins de gens à ſe reſjouir de ma mort. Mais, divine Mandane, adjouſtoit-il, que deviendront tant de favorables paroles que vous m’avez dites, ſi celles des Dieux ſont veritable ? Dois-je penſer que vous ne diſiez pas la verité, ou dois-je croire que voſtre cœur changera ? Helas, adjouſtoit il encore, je ſerois bien moins malheureux que je ne ſuis, ſi je pouvois deviner preciſément mes malheurs. En diſant cela, il tourna fortuitement les yeux ſur Madate & ſur Ortalque, qu’il n’avoit point