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s’en preſentoit : mais ſi je puis le dire ſans crime & ſans vous faſcher, je ne penſe pas que je puiſſe faire ce que vous ſouhaitez de moy. Quoy Cleandre, reprit le Prince un peu étonné, vous ne pouvez parler ſouvent à une des plus belles Perſonnes du monde pour l’amour de moy ! eſt-ce que vous craignez d’en devenir amoureux ? Nullement Seigneur, répondit-il, & je sçay trop le reſpect que je vous dois. Mais j’ay une averſion ſi ſorte au déguiſement, que je ſuis perſuadé que je ferois fort mal ce que vous m’ordonnez ſi je l’entreprenois. Entreprenez-le du moins, reprit le Prince, ſi vous ne voulez me deſobliger : ou dites moy ingenûment ce qui vous en empeſche. Car eſtant perſuadé comme je le ſuis que vous avez beaucoup d’affection pour moy ; & sçachant de certitude que vous n’avez pas l’eſprit bizarre : il faut bien de neceſſité qu’il y ait quelque raiſon cachée, qui face voſtre reſistance. En verité Seigneur, repliqua Cleandre, je ne ſcaurois vous dire d’autre excuſe, que celle que je vous ay deſja dite : Ne ſeroit ce point, adjouſta le Prince, que je me ſerois trompé, lors que j’ay creu que vous n’aimiez rien ? Et ne ſeroit-il point vray que vous aimeriez quelque belle Perſonne, à qui vous craindriez de donner de la jalouſie ? Si cela eſt, pourſuivit-il, advoüez le moy ſincerement : parce que ſi vous eſtes aſſez bien avec elle pour luy confier un ſecret, je conſentiray que vous luy diſiez le mien : & de cette ſorte vous cacherez voſtre paſſion auſſi bien que la mienne : car je ne doute pas ſi vous aimez, que ce ne ſoit une Perſonne fort raiſonnable. Que ſi vous n’eſtes pas encore en ces termes là, aupres de celle qui vous a aſſujetty, dites encore la choſe avec la meſme ſincerité, & je vous laiſſeray