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de courage prodigieuſes, pour ſauver leur illuſtre maiſtre : qui de ſon coſté ne combattoit pas moins pour leur deffence que pour la ſienne. Plus le nombre des ennemis croiſſoit, plus ſa valeur devenoit redoutable : il ſe demeſtoit d’entre les Arbres avec une adreſſe merveilleuſe : & ſon cheval obeïſſant à ſa main, ſecondoit ſi bien ſes intentions, que diverſes fois, s’il euſt pu ſe reſoudre de laiſſer ſes Amis engagez, il euſt pû ſe ſauver : Mais comme ſon grand cœur n’y pouvoit conſentir il combatoit opiniaſtrement, quoy que ce fuſt ſans eſpoir de vaincre. En moins d’un quart d’heure, il ſe fit un rampart de corps morts ; tous les Troncs des arbres furent enſenglantez ; toute l’herbe fut couverte de ſang ; & toute la Terre en fut mouillée. Tous les cavaliers qui ſe trouverent aupres de luy, perirent en cette occaſion : & il y auroit aſſurément pery luy meſme, ſi les Dieux ne l’euſſent voulu ſauver de puiſſance abſoluë. Apres avoir donc combatu tres long temps, ne voyant plus aupres de luy que Tigrane, Phraarte, Aglatidas, Chriſante, Ligdamis, Anaxaris, & Feraulas ; & jugeant que les coups des ennemis n’en pourroient plus fraper aucun qu’ils ne le touchaſſent ſensiblement ; ſa valeur redoubla encore : & il fit ſans doute ce que luy meſme ne croyoit pas eſtre capable de faire. Mais à la fin le nombre des ennemis croiſſant touſjours, & un d’entre eux s’eſtant adviſé de tüer ſon cheval s’il pouvoit, & l’ayant en effet bleſſé mortellement d’un grand coup d’eſpée qu’il luy enfonça dans les flancs : ce fut en vain que l’illuſtre Prince qui le montoit voulut le retenir : car ce fier Animal ſe ſentant bleſſé, & la Nature faiſant en luy un dernier effort, il emporta ſon maiſtre malgré qu’il en euſt, à travers l’eſpaisseur