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chagrin devenoit inſuportable, qu’il n’eſtoit pas maiſtre de ſon eſprit : & il me diſoit des choſes ſi touchantes, que je n’eſtois gueres moins affligé que luy.

Cependant le Prince Atys, de qui la condition n’eſtoit guere moins conſiderable à la belle Anaxilée que ſon merite & ſon affection, en fut ſi favorablement traité, qu’il lia une amitié aſſez eſtroite avec elle, quoy que fort innocente : & juſques au point, qu’il ne ſongeoit plus qu’à bien cacher cette ſecrette intelligence qui eſtoit entre eux, non ſeulement aux yeux de Creſus, mais à ceux de toute la Cour. Si bien que ce Prince qui croyoit aveque beaucoup d’aparence, avoir un pouvoir abſolu ſur l’eſprit de Cleandre, penſa que le mieux qu’il pouvoit faire pour tromper tout le monde, eſtoit de l’obliger à feindre d’eſtre amoureux d’Anaxilée : de ſorte que l’envoyant quérir un matin, & l’entretenant en particulier ; mon cher Cleandre, luy dit-il, je ne sçaurois eſtre heureux ſans vous : & ſi vous ne m’aidez à couvrir ma veritable paſſion, en faiſant ſemblant d’en avoir pour Anaxilée, je me pourray cacher mon bonheur, que vous sçavez bien qui ſera deſtruit, dés qu’il ſera deſcouvert. C’eſt pourquoy je vous conjure de vouloir agir avec elle, comme ſi vous l’aimiez eſperdûment, afin que toute la Cour le croye ; car ſi vous le faites, luy dit-il en l’embraſſant, je ſeray le plus heureux de tous les hommes ; puis que non ſeulement toute la Cour croira ſans peine que je ne ſonge point à elle : mais que le Roy & la Princeſſe ma Sœur croiront encore que vous en ſerez aimé. Ainſi vous demandant un office qui vous donnera de la gloire, j’eſpere que vous ne me le refuſerez pas. Si vous aimiez quelque choſe, luy dit-il, je n’aurois