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capable de ſatisfaction. La veuë meſme de Cyrus, toute agreable qu’elle luy devoit eſtre, par cette prodigieuſe reſſemblance qui eſtoit entre ce Prince & Spitridate, augmentoit pluſtost ſon chagrin en l’humeur où elle eſtoit ce jour là, qu’elle ne le diminuoit. Car quand elle venoit à penſer, que ce Prince ſi admirablement bien fait, ſi honneſte homme, & ſi genereux eſtoit mort, priſonnier, ou infidelle : elle eſtoit contrainte de faire un grand effort ſur elle meſme, pour détacher ſon eſprit d’une ſi faſcheuse penſée ; de peur de donner des marques trop viſibles de ſa foibleſſe. Elle aimoit touteſfois bien mieux que la preſence de Cyrus remiſt dans ſon ame tant de triſtes penſées, que de ne voir que Phraarte aupres d’elle : qui par la paſſion qu’il avoit dans le cœur, luy donnoit mille inquietudes par la ſeule penſée qu’elle avoit, que ſes yeux auroient fait un ennemy à Spitridate, en aſſujettissant Phraarte : de for te que l’amour de ce Prince luy eſtoit encore plus inſupportable, par la haine qu’elle prevoyoit qu’il auroit un jour pour ſon illuſtre Rival, que par elle meſme. Apres que Cyrus eut fait ſa viſite de longueur raiſonnable, il quitta Araminte : & pour obliger Ligdamis, il fut à l’Apartement où l’on avoit logé les Priſonnieres d’Epheſe, à qui il fit cent civilitez : mais principalement à la Sœur & à la Maiſtresse de Ligdamis. En ſortant de là il apella Araſpe, qu’il avoit remarqué eſtre fort triſte : & comme il s’imagina que peut-eſtre cette melancolie venoit de ce que l’employ qu’il luy avoit donné ne luy plaiſoit pas & l’ennuyoit : comme il l’aimoit fort, il eut la bonté de luy demander s’il eſtoit las d’eſtre priſonnier luy meſme en gardant des Priſonnieres ? parce que ſi cela eſtoit,