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amoureux, parce que la Princeſſe devenoit en effet tous les jours plus belle & plus aimable, il eſtoit auſſi plus chagrin. Comme je m’aperçeus aiſément de cette melancolie, & que je n’en voyois point de cauſe raiſonnable, je le ſuppliay de vouloir m’en dire le ſujet : & je pris cette liberté, parce que je changement de ſa fortune n’en ayant point aporté dans ſon cœur, il m’aimoit encore autant, qu’il m’avoit jamais aimé. Touteſfois il ne m’acorda pas d’abord ce que je luy demandois : & il falut qu’il fuſt eſtrangement preſſé par ſa douleur, pour ſe reſoudre à m’advoüer qu’il aimoit, & qu’il aimoit la Princeſſe Palmis. Il eſt certain que je le pleignis extrémement, d’avoir une paſſion dans l’eſprit, qui ne luy pouvoit raiſonnablement permettre d’eſperer, veû l’ignorance où il eſtoit de ce qu’il eſtoit né. Je fis donc tout ce que je pûs, pour taſcher de le guerir d’un mal qui luy plaiſoit, quoy qu’il en fuſt fort tourmenté : & je luy repreſentay cent fois, que pouvant eſtre fort heureux, c’eſtoit une eſtrange choſe, que de ſe rendre ſoy meſme volontairement infortuné. Mais quoy qu’il advoüaſt que j’avois raiſon, il ne pouvoit pourtant faire autrement : au lieu de combattre ſon amour aveques violence, il l’entretenoit aveques ſoing. Car il voyoit la Princeſſe le plus ſouvent qu’il pouvoit : il luy parloit toutes les fois qu’il en trouvoit l’occaſion : il luy rendoit tous les ſervices dont il ſe pouvoit adviſer : & s’enchaiſnant luy meſme, s’il faut ainſi dire, il gemiſſoit ſous la peſanteur de ſes fers ſans oſer ſe plaindre ouvertement : & tout heureux qu’il eſtoit en apparence, il eſtoit pourtant fort malheureux en effet. Car quand il venoit à penſer, qu’il ne sçavoit point ce qu’il eſtoit, & qu’il y avoit lieu de croire qu’il ne le sçauroit jamais : ſon