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où il ne craigniſt de ne la delivrer jamais, Si bien que paſſant continuellement de la crainte à l’eſperance, & de l’eſperance à la crainte ; ſon ame eſtoit dans une agitation continuelle, qui ne luy donnoit qu’autant de repos qu’il luy en faloit, pour recommencer de ſouffrir. Le Portrait qu’il avoit de Mandane, & la magnifique Eſcharpe qu’il avoit eue de Mazare mourant, eſtoient ſes plus douces conſolations : il conſervoit ces deux choſes avec un ſoin ſi particulier, qu’il eſtoit aiſé de voir combien la perſonne qui les luy rendoit cheres, la luy eſtoit elle meſme. La veuë du Roy d’Aſſirie luy donnoit pour tant quelques faſcheuses heures : ne pouvant pas touſjours eſtre ſi bien maiſtre de ſon eſprit, qu’il n’euſt quelque peine à cacher ſes veritables ſentimens : & à vivre touſjours avec une eſgale civilité avec que luy, juſques à ce que par la liberté de Mandane, il ſe viſt en eſtat de le vaincre ou d’en eſtre vaincu. Il avoit neantmoins la conſolation de l’avoir renverſé du Throſne ; de sçavoir qu’il n’eſtoit pas aimé, & qu’enfin il eſtoit encore plus malheureux que luy. Au contraire, le Roy d’Aſſirie, à parler raiſonnablement, ne devoit pas avoir une penſée qui le deuſt conſoler, ſi ce n’euſt eſté l’oracle qu’il avoit receu à Babilone. Car il voyoit ſon Rival couvert de gloire ; aimé de ſa Princeſſe ; & ſans autre malheur que ce luy d’en eſtre éloigné, & de la sçavoir captive. Mais pour luy, il ſe voyoit ſans Couronne, & ſans eſperance de regner jamais ny dans l’Aſſirie, ny dans le cœur de Mandane ; du moins à juger par les aparences. Touteſfois il y avoit bien des heures ; où cét oracle favorable, le conſoloit de tous ſes deſplaisirs, & diſſipoit toutes ſes craintes, en luy faiſant