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s’eſcria-t’il, je ſuis aſſurément bien plus malheureux que je ne penſois l’eſtre : car puis que vous ne devinez pas d’abord, que je ne puis venir que pour voir Cleonice, c’eſt une marque qu’elle ne croit pas que ma paſſion ſoit auſſi for te qu’elle eſt. Elle la croit bien ſorte, repliquay-je, mais je ne penſe pas qu’elle croye que vous ſoyez ſi mauvais meſnager d’une vie qui luy eſt chere comme la voſtre, que de la haſarder comme vous faites : Car enfin ſi on vous prenoit en ha bit deſguisé dans Epheſe, vous fourniriez à vos ennemis un pretexte le plus grand du monde de vous nuire. N’importe, me dit-il, pourveu que je voye Cleonice : c’eſt pourquoy ne differez pas davantage, à me faire avoir ce plaiſir. Entendant donc parler Ligdamis avec tant d’ardeur, & jugeant bien que pluſtost il verroit Cleonice, pluſtost il s’en retourneroit, & ſe mettroit en ſeureté ; j’envoyay prier Stenobée de luy permettre devenir me guerir d’un mal qui ne pouvoit eſtre ſoulage que par ſa converſation : ne voulant pas faire dire un pretexte plus divertiſſant de peur que Stenobée qui cherchoit tous les plaiſirs, n’en vouluſt eſtre. Mon artifice ne reuſſit pourtant pas, comme je l’avois eſperé ; car Stenobée s’imaginant, comme elle faiſoit ſouvent, que l’on ne deſiroit que ſa Fille ; creut encore qu’il devoit y avoir quelque muſique ou quelque autre divertiſſement chez moy, qu’on ne luy diſoit pas : ſi bien qu’ayant cette imagination, elle me manda qu’elle me l’ameneroit elle meſme : & en effet elle vint une heure apres. Je vous laiſſe à penſer combien Ligdamis murmura de cette avanture, dans la croyance qu’il ont qu’il ne pourroit parler à ſa chere Cleonice de tout ce ſoir là ; Cependant la choſe