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s’eſt eſpandu, s’eſteindra bien toſt : car comme vous le sçavez, Artelinde donne ſi ſouvent de nouvelles matieres de converſation, que je ſuis aſſurée que dans trois jours on ne parlera plus de l’amour de Ligdamis. Je vous conjure du moins, me dit-elle, de ne luy aller pas dire que je vous ay advoüé que je ne le pouvois bannir : Mais, luy dis-je en riant, puiſque l’affection que vous avez pour luy n’eſt qu’amitié, pourquoy voulez vous luy en cacher la grandeur ? croyez moy Cleonice, ce que vous voulez faire eſt contre l’uſage : & perſonne ne s’eſt jamais adviſé de faire un ſecret de l’amitié. Au contraire, il ſe trouve bien plus de gens qui la diſent plus grande qu’elle n’eſt dans leur cœur, qu’il ne s’en trouve qui la cachent. mauvaiſe perſonne, repliqua-t’elle, je vous entends bien : mais quand ce que vous penſez ſeroit vray, faudroit-il me forcer à vous dire une choſe que je ſerois au deſespoir de ſentir dans mon ame ? ouy, luy dis-je, ſi vous aimiez la ſincerité : mais puiſque cela n’eſt pas, j’auray aſſez de complaiſance pour nommer toutes choſes comme il vous plaira ; & pour appeller meſme haine ſi vous voulez, l’amour que Ligdamis a pour vous.

Depuis cela, Madame, il eſt certain que Cleonice eut l’eſprit un peu plus tranquile, & que Ligdamis en fut plus heureux : le bruit meſme qui s’eſtoit eſpandu ſe diſſipa bien toſt, par la voye que je l’avois predit : eſtant certain qu’Artelinde donna tant de nouveaux ſujets de parler d’elle ; qu’on ne parla plus d’autre choſe. Car non ſeulement elle continua d’avoir cette multitude d’Amants qui l’environnoient ; mais il luy arriva encore une advanture rare : qui fut qu’eſcrivant un matin à trois ou quatre de ſes