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Mais apres avoir aporté ſoin à deſcouvrir la cauſe de cette bizarre melancolie, qui la prenoit & la qui toit ſi ſouvent ; je trouvay qu’elle ne manquoit jamais de luy prendre, lors que contre ſon deſſein, elle avoit parlé un peu plus doucement à Ligdamis qu’elle ne vouloit : eſtant certain que lors que ſa memoire luy reprochoit de luy avoir dit quelque choſe qui ne luy ſembloit pas aſſez rude, elle s’en vouloit mal à elle meſme, & en faiſoit ſouffrir tous ceux qui l’aprochoient le reſte du jour. Au contraire, quand elle avoit eu la force de mal-traiter Ligdamis, elle en paroiſſoit plus gaye : & elle eſtoit ſi ſatisfaite de ſa fierté, que l’on en voyoit des marques de joye dans ſes yeux, juſques à ce qu’elle luy euſt dit quelque choſe de favorable. Ainſi on ne les pouvoit jamais voir tous deux en leur belle humeur en meſme temps : car quand Ligdamis eſtoit ravy de joye, de quelque favorable parole que Cleonice luy avoit dite, elle en eſtoit fort melancolique : & quand Ligdamis eſtoit affligé de ce qu’elle luy avoit parlé rudement, elle en avoit un plaiſir extréme : tant il eſt vray qu’elle eut de peine à ſe reſoudre de luy donner quelques preuves de n’eſtre point inſensible. Cependant il eſt certain, qu’elle ne le haïſſoit pas : & quoy qu’elle n’aye jamais voulu appeller qu’amitié, l’affection qu’elle a euë pour Ligdamis, je penſe pourtant qu’elle changea aſſez pour luy donner un autre nom. Car enfin Cleonice faiſoit cent petites choſes ſans qu’elle y priſt garde, qui teſmoignoient fortement ce que je dis : parce qu’elle ne les faiſoit point du temps que Ligdamis n’avoit que de l’amitié pour elle, & qu’elle en avoit auſſi pour luy. Je me ſouviens meſme, que pendant qu’il n’eſtoit que ſon Amy, elle ne ſe ſoucioit