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Amis qu’afin qu’ils vous ſervent & qu’ils vous divertiſſent : puis que vous ne pouvez endurer qu’ils vous importunent une fois en toute leur vie. Cleonice m’entendant parler ainſi, ſe mit à ſous tire, & Ligdamis m’en remercia : en fuite dequoy, il joignit des paroles ſi perſuasives aux miennes, qu’enfin apres plus de deux heures de converſation, j’obtins d’elle que Ligdamis demeureroit à Epheſe, & qu’il la verroit : mais à condition qu’il ne luy parleroit point de ſon amour.

La choſe alla donc ainſi durant quelques jours : neantmoins comme il n’eſtoit pas poſſible à Ligdamis de renfermer ſi bien ſa paſſion dans ſon cœur, qu’elle ne paruſt à quelqu’une de ſes actions ou de ſes paroles ; il n’y avoit point de jour que Cleonice & luy n’euſſent deux ou trois querelles. Mais inſensiblement, ſans que je puiſſe dire comment cela ſe fit, Cleonice s’accouſtuma à reſpondre à Ligdamis, & quoy que ce fuſt tous jours pour s’oppoſer à luy, neantmoins ce luy eſtoit une grande conſolation que de pouvoir parler de ce qui occupoit toute ſon ame : & la choſe alla effectivement de telle ſorte, que Cleonice devint en effet la confidente de la paſſion que Ligdamis avoit pour elle : ne pouvant jamais ſouffrir qu’il luy en parlaſt autrement. Cependant quoy qu’elle luy conſeillast touſjours de n’eſperer jamais rien ; qu’elle continuaſt de luy parler contre l’amour ; & qu’elle luy commandaſt tres ſouvent, de ceſſer de l’aimer de cette maniere ; je penſe qu’à la fin elle n’euſt pas voulu eſtre obeïe : Il y avoit pourtant des jours où elle eſtoit ſi chagrine, que tout le monde luy en faiſoit la guerre : d’abord cela me ſurprit un peu ; parce que je n’avois pas accouſtumé de luy voir l’humeur ineſgale.