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à Cleonice. Ce qui l’obligea d’en uſer ainſi, fut qu’il craignit qu’il ne fuſt plus aiſé à cette cruelle perſonne de luy faire sçavoir par moy qu’elle ne vouloit pas qu’il revinſt, que de luy dire elle meſme qu’elle vouloit qu’il s’en retournaſt. Auſſi toſt qu’il fut arrivé, il me vint voir, pour m’aſſurer qu’il n’avoit point changé de ſentimens, & pour me demander conſeil de ce qu’il devoit faire. Pour moy, qui connoiſſois admirablement Cleonice, je fus d’advis qu’il ne luy fiſt rien dire auparavant que d’aller chez elle : & qu’il allaſt viſiter Stenobée, comme il avoit accouſtumé de faire au retour de ſes voyages. De ſorte qu’ayant creû ce que je luy diſois, il y fut le meſme jour, & je m’y trouvay auſſi : voulant avoir le plaiſir de voir comment cette premiere viſite ſe paſſeroit. Mais par malheur pour Ligdamis, il y avoit ce jour là tant de monde chez Stenobée, qu’il ne put parler à Cleonice un moment en particulier. Artelinde & Phocylide y vinrent auſſi : & comme il y avoit longtemps que l’on n’avoit veû Ligdamis, il fut preſques touſjours le ſujet de la converſation. Les uns luy faiſoient compliment, ſur la douleur qu’il avoit euë de la priſon de Cleandre ; les autres l’aſſuroient que ſon voyage leur avoit ſemblé bien long ; & Artelinde ſuivant ſon humeur, luy dit qu’elle ne pouvoit pas comprendre, comment il avoit pû vivre dans une auſſi grande ſolitude, que celle où il avoit eſté : ſe mettant apres cela, à faire une ſatire de la campagne, extrémement agreable : ſoustenant qu’il faloit eſtre ſtupide, chagrin, ou inſensible, pour pouvoir y demeurer huit jours ſans s’ennuyer : & concluant que puiſque Ligdamis y avoit eſté ſix mois, ayant autant d’eſprit qu’il en avoit ;