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en laiſſay tomber une ſans y penſer, qu’elle releva auſſi toſt, ſans s’imaginer touteſfois qu’elle fuſt de Ligdamis. A peine l’eut elle entre les mains, qu’elle en reconnut l’eſcriture : & elle ne l’eut pas pluſtost reconnue, qu’elle rougit d’une effrange ſorte. Je vy meſme que ſon premier ſentiment fut de la lire : mais une ſeconde penſée ayant deſtruit la premiere, elle me la voulut rendre ſans la voir. Vous n’eſtes gueres curieuſe (luy dis-je en ne la voulant pas prendre) il eſt vray, dit elle, que je ne la ſuis pas trop : principalement quand je crains d’aprendre quelque choſe qui ne me plaiſe pas. Tout à bon, luy dis-je, Cleonice, que voulez vous qui ſoit dans cette Lettre ? ſi vous la pouviez rendre telle qu’il vous plairoit, repliqua t’elle, je vous dirais ce que je voudrois qui y fuſt : mais comme tous mes deſirs ne la pourroient changer, j’aime mieux vous la rendre ſans la voir. Alors la prenant de ſes mains où elle eſtoit, & voulant luy faire une malice, pour deſcouvrir mieux ſes veritables ſentimens ; je luy dis que je voulois luy lire cette Lettre tout haut, puis qu’elle ne la vouloit pas lire. Cleonice prenant la parole, me dit qu’elle ne la vouloit point entendre : mais apres m’avoir dit cela, elle ſe teut : & pour mieux cacher les divers mouvemens de ſon eſprit, elle ſe mit à travailler à un tiſſu d’or & de ſoye qui eſtoit ſur ſa table. En fuite dequoy m’eſtant levée d’aupres d’elle, & m’eſtant miſe vis à vis, de peur qu’elle ne leuſt ce qui eſtoit effectivement dans cette Lettre de Ligdamis ; je feignis d’y lire ces paroles.

Enfin, Iſmenie, la ſolitude a fait ce que n’avoit pû faire la raiſon : & la