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me trouvois auſſi fort ſouvent ſeule avec elle. Au commencement, quand je luy voulois parler de Ligdamis, elle s’en faſchoit : mais peu à peu elle vint à ſouffrir non ſeulement que je luy en parlaſſe, mais meſme elle m’en parloit quelqueſfois la premiere. Un jour donc que nous eſtions ſeules ; du moins (me dit-elle apres pluſieurs au tres diſcours) ſuis-je aſſurée qu’au lieu où eſt Ligdamis, il ne trouve perſonne à qui il puiſſe parler de moy : ainſi je puis eſperer que ſa folie, en paſſera pluſtost : car j’ay ce me ſemble oüy dire, que ce n’eſt pas eſtre tout à fait abſent, quand on s’entre tient ſouvent de ce que l’on aime. Mais, luy dis je en la regardant fixement, eſt-il poſſible que vous ſouhaitiez autant que vous le dites, que Ligdamis n’ait que de l’indifference pour vous ? ce n’eſt pas ce que je dis, reſpondit elle : & que dites vous donc ? luy repliquay-je à demy en colere ; je dis, reſpondit-elle, que je ſouhaite que Ligdamis n’ait plus d’amour pour moy : car pour l’amitié, je vous advouë que je ſerois bien aiſe qu’il en euſt : touſjours. Mais comment penſez vous que cela ſoit poſſible ? luy dis-je, & ne conſiderez vous point que ſi l’abſence le guerit d’une violente amour, ce ne peut-eſtre qu’en faiſant qu’il vous oublie, & qu’en ſe deſaccoustumant de telle ſorte de vous voir, que vous ne ſoyez plus neceſſaire à la douceur de ſa vie ? De plus, luy dis-je encore, je penſe que vous ne conſiderez pas, que Ligdamis n’a plus d’amitié pour vous ; que cette affection a changé de nature ; & qu’à parler raiſonnablement, ſi le remede que vous luy avez ordonné, fait ce que vous avez pretendu qu’il fiſt, il n’aura plus ny amour ny amitié : Encore ne sçay-je s’il demeurera dans une ſimple indifference :