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accomplie : mais quiter la plus belle & la plus parfaite perſonne de la terre pour en aimer une autre, c’eſt ce qui n’eſt jamais arrivé, depuis que l’amour regne dans le cœur des hommes. Pour moy, dit Cleonice, je ſuis ſi eſpouvantée de vous entendre parler comme vous faites, que je ne sçay preſques ce que je dois dire : ſi ce n’en : qu’il ne ſe faut fier à perſonne, & ſe deffier meſme de ſa propre raiſon. C’eſt pourquoy Ligdamis, luy dit elle, il faut que je vous refuſe ce que vous voulez : & que je vous prie de ne me voir plus, ou du moins de ne me voir de tres long temps. Vous voulez donc que je meure ? repliqua t’il ; nullement, dit elle, mais je voudrois que vous devinſſiez ſage. Donnez moy ſeulement encore huit jours à vous voir, interrompit il, je vous en conjure par l’amitié que vous m’avez promiſe : je le veux bien, dit elle quoy que vous vous ſoyez rendu indigne de toute grace : ce ſera pourtant à condition, que vous ne me direz rien de voſtre pretenduë amour.

Ligdamis remercia alors Cleonice, comme ſi elle luy euſt accordé ſon affection toute entiere, & il me vint trouver au ſortir de chez elle, avec une joye qui me fit bien connoiſtre que ſon cœur eſtoit veritablement amoureux. Il me pria d’agir pour luy, avec des paroles ſi touchantes, qu’il me perſuada en effet de luy rendre office : il ne me fut pourtant pas fort aiſé : car je trouvay Cleonice dans un chagrin qui faiſoit qu’elle ne pouvoit preſques ſouffrir perſonne, qu’en ſe faiſant une extréme violence. L’amitié qu’elle avoit pour Ligdamis, n’eſtoit pas une des moindres cauſes de ſon ſuplice & l’adverſion qu’elle avoit pour l’amour, eſtoit ce qui achevoit de la tourmenter. Cependant