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vous voy vous meſme ſi deſraisonnable, bien qu’il n’y ait pas longtemps que voſtre cœur en ſoit touché, que je ne sçay comment je vous puis ſouffrir. voſtre viſage eſt changé ; vos actions le ſont auſſi ; je voy une inquietude continuelle dans vos yeux, vous parlez avec plus de precipitation que vous ne faiſiez ; tout ce que vous dites eſt injuſte ; vous vous taiſez à contretemps ; vous reſpondés mal à propos ; & tout cela ſe fait en vous, ſans que l’en voye la raiſon. Car enfin, vous vous eſtimiez heureux autrefois ; je vous offre encore la meſme choſe ; c’eſt à dire ma converſation, mon eſtime, mon amitié, & ma confiance ; & vous n’eſtes pas content. Pour moy, Ligdamis, vous m’en direz ce qu’il vous plaira : mais je n’ay jamais trouvé l’amour ſi bizarre en qui que ce ſoit qu’en vous. C’eſt que cette paſſion, reprit-il, n’a jamais eſté ſi violente en qui que ce ſoit. Mais touſjours, Madame, adjouſta t’il, ne m’eſtimay-je pas tout à fait malheureux, puis que je m’aperçoy que mon amour ne vous eſt pas inconnue : ne vous y abuſez point, repliqua t’elle, plus je verray déreglement en voſtre ame, moins j’auray de diſposition à vous aimer. Cela ne sçauroit eſtre, Ma dame, interrompit-il, & il n’eſt pas plus vray qu’il faut que le feu bruſle ceux qu’il touche, & que le Soleil eſclaire ceux qui le voyent, qu’il eſt vray qu’une ſorte & conſtante paſſion, doit à la fin toucher je cœur de la perſonne que l’on aime. Vous eſperez donc d’eſtre aimé de moy ? (reprit Cleonice avec une froideur qui penſa deſesperer Ligdamis) je le ſouhaite du moins, repliqua-t’il, mais. Madame, je n’oſerois dire que je l’eſpere. Vous faites bien, dit-elle, car vous ne me sçauriez faire un plus ſensible outrage, que de me perſuader que