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Madame, adjouſta-t’il, le feu qui me bruſle ne m’embraſe pas ſeulement, il m’eſclaire encore, & me fait apercevoir cent choies que je n’avois jamais veuës : & vous pouvez voir, luy dit-elle, que l’amour n’eſt point ce que vous diſiez autrefois ? je le voy ſans doute, reprit-il, & je le voy de telle ſorte, que je ne puis comprendre comment il eſt poſſible que j’aye ſi mal raiſonné. J’advouë touteſfois, Madame, qu’il eſt une eſpece de paſſion terreſtre, groſſiere, & brutale, qui uſurpe le nom d’amour, & qui ne l’eſt pourtant pas, qui merite d’avoir l’averſion de toutes les perſonnes raiſonnables : je dis encore qu’il y a une eſpece de galanterie univerſelle, indigne d’une perſonne d’eſprit : mais je dis en meſme temps, qu’une amour confiante & eſpurée, telle que je la ſens dans mon cœur, eſt la plus belle & la plus loüable choſe un monde. C’eſt par cette ſorte de paſſion, que l’ame s’eſleve au deſſus d’elle meſme, & qu’elle eſt capable de faire des actions heroïques : en effet Madame, commandez moy aujourd’huy les choſes les plus difficiles & les plus dangereuſes à executer, je les entre prendray ſans heſiter un moment, Si vous euſſiez peut-eſtre ordonné quelque choſe de cette nature, à ce Ligdamis dont vous regrettez tant l’amitié, il vous auroit repreſenté la grandeur du peril ; il euſt examiné la difficulté qu’il y avoit à vous obeïr ; & ſelon les apparences il ne l’euſt pas fait. Mais ce Ligdamis qui vous aime aujourd’huy, n’eſt plus en eſtat de deliberer ſur vos commandemens : & il eſt preſt de tout entreprendre pour vous obeïr. Ceſſez donc de m’aimer de la maniere que vous faites, interrompit Cleonice, s’il eſt vray que voſtre obeïſſance n’ait point de bornes. L’impoſſibilité, reprit-