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heureux, lors qu’il n’avoit que de l’amitié pour Cleonice ; & combien il eſtoit infortuné, ſeulement parce qu’il avoit de l’amour pour elle ; il ſouffroit des maux incroyables : principalement voyant que je ne luy en oyois rien dire. Quatre ou cinq jours ſe paſſerent de cette ſorte, durant leſquels j’apportay ſoin à ne le nommer pas ſeule ment devant Cleonice : & durant leſquels je la voyois fort melancolique. Toutes les fois que nous eſtions ſeules, je connoiſſois dans ſes yeux qu’elle attendoit que je luy parlaſſe de Ligdamis : & il y eut meſme quelques inſtants, où il me ſembla qu’elle le deſiroit. Neantmoins je demeuray ferme dans ma reſolution, & je ne luy en dis pas une parole : diverſes perſonnes, en ma preſence, luy demanderent ſi elle ne sçavoit point ce qui cauſoit la retraite de Ligdamis ? Artelinde meſme luy en parla ; Phocylide luy en dit auſſi quelque choſe, & il ne fut pas juſques à Hermodore, qui ne taſchast de sçavoir d’elle, d’où venoit qu’il ne la voyoit plus. Quelques autres luy diſoient qu’il eſtoit malade, d’autres encore qu’il eſtoit ſeule ment affligé ; & tous enſemble concluoient qu’il mourroit bien toſt, ſi les maux de ſon corps ou de ſon eſprit ne diminuoient. Apres que toute cette compagnie fut partie, qui avoit tant parlé de Ligdamis à Cleonice, elle ſe tourna vers moy : & me regardant avec un peu de chagrin ſur le viſage ; le deſtin de Ligdamis eſt bien bizarre, dit-elle, car tous les gens qui ne l’aiment point m’en parlent, & vous qui l’aimez tant ne m’en parlez pas. Il eſt vray, luy dis-je, mais c’eſt que je vous aime encore plus que je ne l’aime : & que la crainte de vous faſcher m’impoſe ſilence. Je vous ſuis bien obligée de ce ſentiment là, repliqua t’elle :