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il n’a tant ſouffert qu’il ſouffrit en cette occaſion : car, diſoit-il, ſi elle ne m’entend point, je me prive inutilement du plaiſir de la voir ; & ſi elle m’entend, j’excite peut — eſtre la colere dans ſon cœur, je deſtruis l’eſtime qu’elle a pour moy ; & peut-eſtre encore que ſans me faire meſme la grace de me vouloir donner quelques marques de ſon indignation, elle me laiſſera dans mon exil. Il n’eſtoit pourtant pas expoſé à ce malheur : car il eſt certain que Cleonice ne ſoupçonnoit rien de ſa paſſion. Le premier jour ſe paſſa donc de cét te ſorte : le ſecond elle s’eſtonna un peu davantage : & le troiſiesme l’eſtant allée voir, mais, me dit-elle, qu’avons nous fait à Ligdamis ; & que peut-il faire, que nous ne le voyons point, & que meſme perſonne ne le voit ? je dirois qu’il ſeroit malade, repris-je, ſi ce n’eſtoit que j’ay veu ce matin ſa Sœur au Temple, qui m’a dit qu’il ne l’eſt pas, mais qu’il eſt fort melancholique. Je ne puis donc pas deviner ce qu’il a, reprit-elle, & il faut attendre qu’il ſoit d’humeur à me le venir dire. Le lendemain, qui eſtoit un jour conſacré à Diane, nous fuſmes au Temple enſemble Cleonice & moy : en y entrant : je vy Ligdamis à un coing, que je monſtray à Cleonice : mais à peine eut-il rencontré ſes yeux, qu’apres l’avoir ſalüée, il ſortit du Temple, ce qui nous ſurprit eſtrangement : car il avoit accouſtumé, quand il y trouvoit Cleonice, de regler ſa devotion ſur la tienne, & de n’en ſortit qu’avec elle. Le jour ſuivant, y eſtant encore allées enſemble, nous le trouvaſmes qui en revenoit : mais comme Artelinde & trois ou quatre au tres nous joignirent, Cleonice ne put preſques luy rien dire, lors qu’il fut contraint de paſſer aupres de nous. Neantmoins, comme il paſſa de ſon coſté, elle ſe