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fut tenté cent & cent fois, de dire qu’il aimoit : & cent & cent fois auſſi, le reſpect luy ferma la bouche. Il ſe reſolut donc de deſcouvrir ſon amour à Cleonice en luy obeïſſant, c’eſt à dire en ceſſant de la voir, s’imaginant qu’il ne pouvoit trouver une voye plus ſeure de luy faire connoiſtre ſa paſſion ſans l’irriter. Cette declaration d’amour eſtoit pourtant bien difficile à faire de cette ſorte ; mais luy eſtant impoſſible de parler, il falut avoir recours au ſilence : encore s’eſtimoit-il bien heureux dans ſon malheur, de ce qu’il eſperoit qu’il ſeroit entendu. Apres avoir donc fait une longue viſite à Cleonice, ſans avoir pu luy parler un moment en particulier, parce qu’il y avoit eu beaucoup de monde chez elle ce jour là : comme il vint à ſortir avec la compagnie qui ſe ſepara preſques en un meſme inſtant, ne vous verray-je point demain ? luy dit-t’elle : non Madame, repliqu’a-t’il : & pourquoy (luy demanda Cleonice ſans y entendre de fineſſe) me priverez-vous de cét honneur ? C’eſt parce (reſpondit-il en ſortant, & n’oſant preſques la regarder) que je ſuis reſolu de vous obeïr. Cleonice r’appellant alors dans ſa memoire tout ce qu’elle avoit dit ce jour là à Ligdamis ; ne ſe ſouvint point qu’elle luy euſt donné aucune commiſſion pour le lendemain : elle creut pourtant qu’il faloit que ſa memoire la trompaſt : & elle ne ſoupçonna point du tout la verité. Le jour ſuivant elle me demanda ſi je n’avois point veu Ligdamis ? & le demanda encore à pluſieurs perſonnes, qui luy dirent que non auſſi bien que moy. Et en effet il n’avoit point ſorty de chez luy, où il attendoit avec autant de crainte que d’impatience, que Cleonice luy donnaſt quelques marques de l’avoir entendu. Il m’a dit depuis que jamais