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Apres s’eſtre donc bien obſerve, il connut avec certitude qu’il eſtoit amoureux. Il ne creut pourtant pas que le mal qu’il avoit fuſt incurable ; & il penſa au contraire qu’il n’auroit preſques qu’à ne vouloir plus eſtre amoureux pour ne l’eſtre plus. Mais lors qu’il voulut conſulter ſa volonté, il trouva qu’il n’eſtoit meſme plus en termes de vouloir guerir : il ne laiſſa pas touteſfois de ſe reſoudre à taſcher de combatre ſa paſſion ; & en effet durant quelques jours il fit tout ce qu’il put pour trouver des raiſons qui la puſſent vaincre ; mais ce fut inutilement. Voyant donc qu’il ne la pouvoit ſurmonter, il prit du moins la reſolution de la cacher : tant parce qu’il avoit encore quelque honte de ſa foibleſſe, que parce qu’il n’ignoroit pas que dés que Cleonice s’en apercevroit, elle le mal-traiteroit & luy oſteroit ſon amitié. Il y avoit meſme des moments, où il ſe damandoit encore s’il eſtoit bien vray qu’il ſuit amoureux ? quoy, diſoit-il en luy meſme, cét inſensible Ligdamis qui blaſmoit l’amour avecques tant d’ardeur, a pû s’en laiſſer vaincre ! Ha, non non, je ne le sçaurois penſer. Cependant, adjouſtoit-il, je ſens que mon cœur n’eſt plus à moy ; que mon ame eſt inquiete ; que l’amitié de Cleonice ne me ſatisfait plus ; que ce qui me contentoit m’afflige ; que j’ay des reſveries ſans ſujet ; & que je ne puis trouver de repos, ny en l’abſence de Cleonice, ny en ſa preſence. Quand je ne la voy point, je meurs d’impatience de la voir ; & je croy que dés que je la verray je ſeray heureux. Cependant je ne ſuis pas pluſtost aupres d’elle, que je trouve que la joye que j’ay de la voir, n’eſt pas une joye tranquile. Je voudrois luy dire ce que je ne luy dis point, & ce que je ne luy diray jamais : car le moyen, apres avoir