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Cleonice a ſi peu d’Amis, que vous l’amiez deſja deviné ſi vous l’aviez voulu. Mais Ligdamis, une fauſſe honte vous ferme la bouche : à moy Madame ! reprit-il fort ſurpris, dites pluſtost qu’un veritable reſpect m’impoſe ſilence, & m’empeſche de vous accuſer. Vous porteriez la hardieſſe trop loin, adjouſta-t’elle, d’eſtre ſi coupable, & de vous vouloir pleindre. Je le fais touteſfois, reprit-il, mais je le fais avecque reſpect : C’eſt pourquoy ſans me pleindre aigrement, je vous ſuplie ſeulement, Madame, d’avoir la generoſité de me dire ſincerement, s’il n’eſt pas à propos que je n’aye plus d’amitié pour vous ? Car bien que l’amitié, non plus que l’amour, ne ſoit pas une choſe volontaire ; neantmoins je vous delivreray de la peine que ma preſence vous donne : & je ne troubleray plus la joye de cét heureux Inconnu, dont les Lettres vous ſont ſi cheres. Je vous aſſure, luy dit-elle, que celuy qui a eſcrit la Lettre qui vous tient tant au cœur, eſt une perſonne que je ne verray plus, dés que je vous auray perdu de veuë.

Ligdamis fort eſpouventé de ce que Cleonice luy diſoit, ſe mit à la preſſer de luy parler plus clairement : & alors s’eſtant determinée à rompre abſolument ce jour là avecque luy, elle tira de ſa poche la Lettre qu’elle avoit priſe chez Artelinde : & la luy monſtrant, voyez, luy dit-elle, voyez foible & diſſimulé que vous eſtes, ſi celuy qui a eſcrit cette Lettre, eſt mon Amant ou mon Amy : ou pluſtost s’il n’eſt pas le plus fourbe de tous les hommes. Ha Madame, s’eſcria-t’il, que les aparences vous trompent, ſi vous croyez que cette Lettre ſoit une marque d’amour pour Artelinde ! Ha Ligdamis, s’eſcria-t’elle à ſon tour, que vous eſtes trompé vous meſme, ſi vous croyez