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dit vray, lors qu’elle l’avoit aſſuré qu’elle n’alloit pas chez elle. De ſorte qu’il la ſuivit de loing : Et comme Cleonice, qui avoit eu quelque curioſité de voir s’il r’entreroit chez Artelinde, vit qu’il la ſuivoit, elle creut que c’eſtoit pour la mieux tromper : ſi bien qu’elle ne ſe ſoucia pas, encore qu’elle luy euſt dit qu’elle n’alloit pas chez elle, de s’y en aller. Auſſi bien le deſpit qu’elle avoit dans l’ame, ne luy euſt-il pas permis de faire des viſites ; & de paſſer le reſte du jour à parler de choſes indifferentes, en ayant une qui luy tenoit tant au cœur. Ligdamis, apres l’avoir veuë r’entrer dans ſa maiſon, ne douta plus qu’il ne fuſt fort mal avec elle : il creut meſme que ce malheur ne luy eſtoit arrivé, que parce que quelqu’un y eſtoit fort bien : & il s’imagina enfin, que la Lettre qu’il avoit veuë, auſſi bien que tout ce que Cleonice luy avoit dit, eſtoit une preuve convainquante, d’un attachement particulier. Elle n’oſe, diſoit-il, m’advoüer ſa foibleſſe : & elle aime mieux avoir l’injuſtice de manquer à tout ce qu’elle m’a promis, que de confeſſer qu’elle n’a pû demeurer libre. Cependant, diſoit-il encore, c’eſt eſtre peu équitable. touteſfois (adjouſtoit-il, car il nous a depuis raconté tous ſes ſentimens) j’ay tort de trouver ſi mauvais, qu’elle n’oſe dire ce que j’aurois bien de la peine à dire moy meſme, ſi un ſemblable malheur m’eſtoit arrivé, quoy que la bien-ſeance ne ſoit pas égale entre nous. Mais du moins a-t’elle tort, de ne rompre pas d’amitié avecque moy un peu plus civilement. Voila donc, Madame, de quelle ſorte Ligdamis raiſonnoit : qui voulant s’eſclaircir abſolument, fut à l’heure meſme chez Cleonice. Et comme il fut aſſez heureux pour trouver la porte ouverte,