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doute encore eſtrange, que je commence mon recit, par des choſes qui vous ſemblent prerentement inutiles aux avantures d’une Grande Princeſſe : mais je vous diray touteſfois, que ſi mon Pere ne fuſt point allé à Sardis, rien de tout ce que j’ay à vous aprendre ne ſeroit arrivé : & que par conſequent il faut que vous sçachiez & tout ce que je vous ay deſja dit, & tout ce que j’ay encore à vous dire. Un matin donc, du temps qu’il eſtoit encore à Delos, ſe promenant le long de la Mer, ſur une Terraſſe qu’il avoit fait faire à un jardin qu’il avoit derriere ſa maiſon : & prenant plaiſir à regarder toutes ces Iſles qui environnent celle de Delos ; & qui à cauſe de leur ſcituation, s’apellent en effet les Iſles Cyclades : il vit une Barque qui flottoit lentement au gré des Vagues, où il ne paroiſſoit perſonne dedans qu’une Femme, qui taſchoit de la conduire, & qui ne pouvoit pourtant en venir à bout : car mon Pere voyoit bien que cette Barque alloit d’un coſté quoy qu’elle fut ſous ſes efforts pour la faire aller de l’autre. Eſtant donc pouſſé de quelque curioſité, & de quelque compaſſion, de voir cette femme ſi occupée inutilement : il obligea quelques Mariniers, qui eſtoient aſſez prés de là, d’aller dans un Eſquif, voir ce que c’eſtoit : & en effet ils y furent, & trouverent qu’il n’y avoit dans cette Barque que cette meſme Femme que mon Pere voyoit : & à ſes pieds ſur un Quarreau de drap d’or, un Enfant de trois ans admirablement beau : & qui ſans ſe ſoucier du pitoyable eſtat de ſa fortune, ſe mit à ſous-rire à ces Mariniers, dés qu’ils aprocherent de la Barque où il eſtoit. La prodigieuſe beauté de cet Enfant, & ſon action agreable & : enjoüée ; firent que tous groſſiers qu’ils eſtoient,