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amoureux : & que Ligdamis auſſi apprehendoit eſtrangement que quelque Amant ne luy oſtast l’affection de Cleonice. Car ils eſtoient tous deux perſuadez eſgalement, (et peut-eſtre avecques raiſon) qu’il n’eſt pas poſſible qu’une grande amour & une grande amitié puiſſent eſtre enſemble dans un meſme cœur. Cette eſpece de jalouſie n’avoit pourtant rien de faſcheux, & ne produiſoit rien de funeſte : au contraire, elle ne faiſoit que fournir à la converſation, & que la rendre plus obligeante & plus agreable. Ces deux perſonnes s’eſtimoient donc ſi heureuſes, & Cleonice en ſon particulier eſtoit ſi contente, qu’elle en embellit encore. Cependant elle ſe deſtachoit autant qu’elle pouvoit d’Artelinde, de qui l’humeur luy devint à la fin inſupportable, par la connoiſſance qu’elle eut que cette image de fauſſe gloire qu’elle s’eſtoit mis dans l’eſprit, ne s’en effaceroit jamais. En effet, comme nous sçavions tout ce qu’elle faiſoit par Phocylide, qui croyoit obliger fort Cleonice de le luy redire ; nous eſtions eſpouvantées de voir qu’une perſonne eſlevée par une Mere ſi vertueuſe & ſi ſage, fuſt capable d’une ſi grande foibleſſe. Car enfin ſon cœur ne ſe gueriſſoit point de l’envie de faire touſjours conqueſtes ſur conqueſtes, ſans diſtinction & ſans choix. Or comme le Temple de Diane attire une quantité de monde effrange à Epheſe, il ne venoit pas un homme de qualité en ce lieu-là, qu’elle ne vouluſt qu’il portaſt ſes chaiſnes ; ou du moins qu’il n’en fiſt ſemblant. Et certes elle en vint à bout : eſtant certain que tout le monde la ſuivoit. Et comme nous cherchions un jour, Cleonice, Ligdamis, & moy, la raiſon pourquoy une meſme Beauté pouvoit plaire à tant d’humeurs differentes, & à