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qui ont neantmoins aſſurément un tres grand eſprit, ſe mirent à parler bas : & peu à peu oublierent tellement qu’ils eſtoient en une grande compagnie, qu’ils s’entretindrent comme s’ils euſſent eſté ſeuls : ne cachant plus les mouvemens de leur viſage, & donnant ſi clairement à connoiſtre leur paſſion, que j’en avois honte pour eux. Et bien Iſmenie, me dit Cleonice tout bas, trouvez vous qu’il faille faire exception de l’amour conſtante ; & n’eſt-il pas vray qu’il faut condamner tout ce qui s’appelle amour ou galanterie ? Ligdamis voulant eſtre de ce petit ſecret qu’il comprenoit aiſément, s’aprocha : mais Cleonice le repouſſant civilement, non, non, luy dit-elle, nous n’en ſommes pas encore là : quoy Madame, luy dit-il, vous me traitez comme ſi j’eſtois un Galant, moy qui renonce à cette qualité pour toute ma vie ! Vous eſtes ſi propre à retire ſi vous vouliez, luy reſpondit Cleonice, que je ne voy pas qu’il y ait aparence de ſe fier legerement à vos paroles. Cependant le ſoir aprochant, la compagnie ſe ſepara : Artelinde embraſſant mille fois Cleonice, & ſe pleignant de ne l’avoir point entretenuë, comme s’il euſt bien tenu à elle. Apres que tout le monde fut party, Cleonice dit cent choſes agreables, & fit une Satire ſi plaiſante & ſi divertiſſante des Galants & de la galanterie, que de ma vie je ne l’avois veuë en ſi agreable humeur. Ligdamis me vint voir le lendemain, pour me parler de Cleonice, dont il eſtoit ſi charmé, qu’il ne pouvoit aſſez l’admirer : me conjurant de faire ce que je pourrois pour luy en faire avoir l’amitié, ce que je luy promis ſans reſistance : ne l’aſſurant pas touteſfois de luy faire obtenir ce qu’il ſouhaitoit. Il commença donc de