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celle qu’il ne regardoit pas ; il chantoit pour l’une ; il ſouspiroit pour l’autre ; & il eſtoit enfin ſi occupé qu’il nous en faiſoit pitié. Cependant le pauvre Hermodore ne diſoit pas un mot : & tout chagrin qu’il eſtoit, de ne pouvoir parler en particulier à Cleonice, ce n’eſtoit pas un des moins divertiſſans à obſerver. Car quand on le forçoit à parler, il avoit une ſi grande diſposition à diſputer ſur toutes choſes, que je penſe qu’en l’humeur où je le vy, tout ce qu’il euſt pû faire euſt eſté de ne contredire pas, ſi l’on euſt loüé la beauté de Cleonice. Mais afin qu’il ne manquaſt rien à ce qui pouvoit augmenter l’averſion de Cleonice & de Ligdamis pour l’amour ; le hazard fit encore qu’un fort honneſte homme de la Ville, & une des plus aimables perſonnes de la Terre qui s’aimoient depuis long-temps vinrent ſeparément chez Cleonice. Et comme cette affection eſtoit sçeuë de tout le monde, on les obſervoit aſſez : de ſorte que quand cét Amant entra, ce fut encore une rare choſe à voir, que de remarquer avec quel ſoing il chercha à ſe mettre aupres de la perſonne qu’il aimoit. En entrant dans la Chambre, il regarda bien moins où eſtoit Cleonice pour la ſalüer, qu’où eſtoit ſa Maiſtresse, pour ſe placer aupres d’elle s’il pouvoit. Il n’y fut pourtant pas d’abord, parce que Cleonice malicieuſement luy fit donner un Siege en un autre lieu. Mais à la fin il fit toutefois ſi bien, qu’apres avoir feint d’avoir quelque nouvelle à dire à l’oreille à Phocylide, il ſe mit en fuite aupres de la perſonne qu’il aimoit. Au commencement ils parlerent haut, & cette Dame luy fit ſigne qu’il ſongeast à ne l’entretenir pas ſi toſt en particulier : Mais inſensiblement ces deux perſonnes,