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amitié la plus grande du monde pour moy : il eſtoit eternellement au Logis ; il ne pouvoit durer ſans me voir & ſans me parler ; il me contoit toutes les nouvelles ; il me diſoit meſme tous ſes ſecrets ; je ne le voyois jamais inquiet ny reſveur ; il avoit un ſoing continuel de me plaire ; & tout cela ſans eſtre amoureux. Mais je fus fort eſtonnée, lors que je le vy changer tout d’un coup : il parloit à contretemps, il reſvoit preſques continuellement, & je vous advouë que durant quelques jours, je craignis qu’il ne m’aimaſt un peu trop. Cependant je fus bien toſt deſabusée : car en fort peu de temps je connus ce qu’il avoit dans l’eſprit. Ses plus longues viſites ne duroient pas plus d’une demy heure : il ne sçavoit plus jamais aucune nouvelle : tout ce qui avoit accouſtumé de le divertir chez nous l’ennuyoit : & il devint un homme ſi different de celuy qu’il eſtoit devant que d’eſtre amoureux, que je ne le connoiſſois plus. Et comme je luy en fis la guerre, il voulut pour s’excuſer m’advouër la verité : mais apres cela, il euſt voulu ne me parler plus jamais d’autre choſe, que de la perſonne qu’il aimoit : de ſorte qu’il me devint ſi inſuportable, que je ne le pouvois plus ſouffrir. Or Madame, comme j’eſtois bien aiſe que Cleonice & Ligdamis ſe connuſſent parfaitement, je me mis, afin de leur donner ſujet de parler, à prendre un tiers party : & pour cét effet prenant la parole : en verité Cleonice, luy dis-je, vous allez trop loing : car enfin il faut faire difference de la coquetterie à l’amour. Il faut, dis-je, condamner la premiere abſolument, & faire quelque exception de l’autre. Point du tout, dit Cleonice : car je vous aſſure qu’un Amant opiniaſtre n’eſt gueres moins incommode à l’avoir