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de me dire tout le mal que l’amour vous a cauſé, afin que je me confirme touſjours de plus en plus dans la haine que j’ay pour cette paſſion. Graces aux Dieux, reprit-il, elle ne m’en a point fait en moy meſme, quoy qu’elle m’en ait beaucoup fait en la Perſonne de mes Amis. Mais, Madame, ſans vous ennuyer par un long recit, je vous diray ſeulement, qu’eſtant allé eu Grece pour y voir tout ce qu’elle a d’excellent, j’y rencontray Phocylide, avec qui je fis une amitié tres particuliere : de ſorte qu’eſtant trois mois enſemble à changer tous les jours de lieu, j’en vins au point avecques luy, de luy confier tout ce que j’avois dans le cœur en ce temps là : & meſme tout ce qu’il y avoit de plus particulier en ma vie. Mais à peine fuſmes nous revenus à Epheſe, qu’il partagea tous mes ſecrets entre toutes ſes Maſtresses : de ſorte que comme la plus part d’entre elles ne ſe trouverent pas fort diſcrettes, ce que j’avois de plus caché dans l’eſprit fut sçeu de toute la Ville. Artelinde en ſon particulier, fit un autre ſecret à quelqu’un de ſes Galants, de celuy que Phocylide luy avoit confié, bien qu’il ne fuſt pas à luy : ainſi j’eſprouvay fort cruellement en cette rencontre, le danger qu’il y a à faire confidence à un homme amoureux. Mais Ligdamis, luy dis-je, tous les hommes ne ſont pas auſſi indiſcrets que Phocylide : je vous aſſure, interrompit Cleonice, qu’il ne faut plus en effet regarder un homme amoureux comme un autre : & qu’il y a une notable difference à faire. Car enfin, dit-elle, l’amour eſt une choſe qui change abſolument tous ceux qui en ſont poſſedez : & je me ſouviens, adjouſta-t’elle, qu’un peu devant que je partiſſe de Claſomene, il y avoit un homme nommé Cleanor, qui avoit une