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Qui dit conquerir, reſpondit-elle, ne dit pas conſerver : & quand il ſeroit vray que je devrois perdre une partie des cœurs que l’ay aſſujettis, je n’en meriterois pas moins de gloire. Serieuſement, interrompit Cleonice, ne vous changerez vous point ? Sincerement, reprit Artelinde, ne trouvez-vous point ma vie plus divertiſſante que la voſtre ; & ne vous repentez-vous point d’avoir pris un air ſi ſevere ? Nullement repliqua-t’elle, & je ne voudrois pas eſtre de voſtre humeur : ny moy de la voſtre, reprit Artelinde, c’eſt pourquoy demeurons s’il vous plaiſt dans nos ſentimens. Auſſi bien nous en aimerons nous mieux, adjouſta t’elle, car ſi vous eſtiez des miens, je vous haïrois peut-eſtre eſtrangement : & ſi j’eſtois des voſtres, nous nous ennuyerons ſans doute beaucoup enſemble, quoy que vous m’en puiſſiez dire. Cleonice voyant qu’elle ne pouvoit rien gagner ſur l’eſprit d’Artelinde, changea de diſcours, & peu apres elle la quitta : mais comme elle eſtoit preſte à ſortir, elle la r’appella, pour la prier en riant de luy renvoyer cét eſclave fugitif qu’elle luy avoit deſrobé, voulant parler d’Hermodore. Il ne tiendra pas à moy, repliqua Cleonice, qu’il ne vienne reprendre ſes premieres chaines : ce n’eſt pas encore aſſez, adjouſta-t’elle ; & il faut de plus que vous n’alliez pas toucher le cœur de l’inſensible Ligdamis : car je vous advouë que je ne le sçaurois endurer. Vous eſtes ſi peu ſage, luy dit Cleonice, que je ne vous veux plus reſpondre : & vous l’eſtes avec tant d’excés, repliqua Artelinde, que ma folie vaut mieux que voſtre ſagesse.

Ce fut de cette ſorte que ces deux belles perſonnes ſe ſeparerent : Cleonice s’en retournant chez elle dans ſon Cabinet pour y reſver, &