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qu’ils ne ſoient pas laids) toute la peine que vous prenez à conduire les voſtres avec tant d’art, qu’ils puiſſent obliger tous ceux qui font à l’entour de vous : & donner quelqueſfois de l’amour, ſans donner de la jalouſie. Mais apres tout, Artelinde, ce n’eſt jamais gueres parmy cent mille Amants de cette eſpece, que l’on peut trouver un Mary : c’eſt bien encore moins dans la ſolitude, repliqua-t’elle, joint que ce n’eſt pas trop ce que je cherche : car à parler ſincerement, je crains ſi fort d’en rencontrer quelqu’un de l’humeur de ma Mere, que je ſuis preſques reſoluë de n’en avoir jamais. Ne ſongez vous point, adjouſta Cleonice, que la jeuneſſe ne dure pas touſjours ? & que la vieilleſſe & la galanterie ont une anthipatie ſi grande, qu’il n’eſt rien de plus oppoſé ? Comment ſerez-vous donc un jour, quand tous vos Galants vous abandonneront ? Ne ſoyons pas ſi prévoyante, reſpondit-elle, car pour moy je me trouve ſi bien de ne ſonger pas à tant de choſes ; que je ne veux pas croire voſtre conſeil : ny devenir trop prudente, de peur d’eſtre malheureuſe. Il me ſuffit, quand je ſuis à la ſaison des roſes, de regarder dans mon Miroir, ſi le peu de beauté que j’ay ne durera pas encore juſques aux premieres Viollettes : & quand je m’en ſuis aſſurée, je me mets l’eſprit en repos. Si tous ceux qui ont eſté à la guerre, pourſuivit-elle, avoient touſjours raiſonne ſi ſagement, & voulut ſe mettre à couvert de tous les perils qu’on y peut courir, nous n’aurions jamais eu ny Vainqueurs ny Conquerants. Mais, reprit Cleonice, vos yeux n’ont part qu’à la premiere de ces deux qualitez : puis qu’enfin je trouve leurs conqueſtes ſi mal aſſurées, que je ne penſe pas qu’on les doive nommer Conquerants.