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pas. Mais, reprit Cleonice, pouvez vous appeller bagatelles des choſes qui font croire qu’ils ont grande part en voſtre eſprit ; qu’ils poſſederont un jour voſtre cœur tout entier ; & peut-eſtre voſtre perſonne ? Ha Cleonice, s’eſcria Artelinde, vous allez trop loing : & tout ce que je fais pour mes Amants les plus favoriſez, ne sçauroit leur donner une ſi criminelle penſée. Croyez, luy repliqua Cleonice, que je me trompe moins que vous : car puis qu’il s’eſt trouvé des Amants qui ont eſperé au milieu des rigueurs & des ſuplices qu’on leur faiſoit endurer par une cruauté extréme : comment voulez-vous que des gens que vous accablez de faveurs, n’eſperent pas tout ce qu’on peut eſperer ? Non non, reprit Artelinde, ne vous y trompez point : je partage trop mes faveurs, pour en pouvoir accabler perſonne : & ſi je n’avois pas peur que vous me dérobaſſiez mon ſecret, & qu’il ne vous priſt envie de vous en ſervir ; je vous deſcouvrirois le fond de mon cœur, afin de me juſtifier dans voſtre eſprit. Mais, ma chere Cleonice, adjouſta-t’elle flatteuſement, je crains que ſi je vous deſcouvre tout ce que je penſe, je ne détruiſe moy-meſme mon Empire. Car enfin s’il vous prenoit envie de joindre un peu d’adreſſe aux charmes de voſtre beauté, je ſerois abſolument perduë : puis qu’infailliblement tous mes Amants ſeroient les voſtres. Vous eſtes ſi accouſtumée à les flatter, reprit Cleonice, que vous flattez meſme vos Amies ſans y penſer : mais, Artelinde, ce n’eſt pas là ce que je veux. Cependant pour vous mettre l’eſprit en repos, je vous declare que je ne me ſerviray jamais de voſtre ſecret : c’eſt pourquoy ne craignez pas de me dire vos raiſons, ſi vous en avez qui puiſſent me faire voir qu’il y ait un fort grand plaiſir à eſtre eternellement obſedée